PSE, salaires qui stagnent à Auchan et Decathlon

23 décembre 2024 | Rémunération & Pouvoir d’achat Social

  • Début novembre, Auchan annonçait supprimer près de 2400 postes en France. Cinq semaines plus tard, les salariés de Decathlon se mobilisaient contre la stagnation de leurs salaires, alors même que leur direction avait décidé de verser 1 milliard d’euros aux actionnaires de l’enseigne, du fait de ses très bons résultats. Dans ces deux entreprises – propriétés de l’association familiale Mulliez – la CFTC doit composer avec un durcissement préoccupant du dialogue social, tout en essayant de protéger au mieux les intérêts des salariés. Explications avec Bruno Delaye, délégué syndical Retail CFTC d’Auchan France et Grégory Labrousse, délégué syndical central CFTC chez Decathlon.

Le chiffre était tombé en février dernier, lors de la publication des résultats annuels d’Auchan. Le géant de la grande distribution annonçait alors avoir perdu 379 millions d’euros, en 2023. De quoi alerter Bruno Delaye, délégué syndical central CFTC au sein d’Auchan Retail France. S’il anticipait l’éventualité d’un plan de sauvegarde de l’emploi, il ne s’attendait néanmoins pas à l’ampleur de celui qu’Auchan a fini par annoncer, début novembre.

La direction déclarait alors vouloir supprimer 2389 postes, à partir de la mi-juillet 2025. « On pressentait qu’il y allait avoir une réorganisation importante, explique Bruno Delaye. Néanmoins, on pensait qu’elle concernerait surtout les services d’appui, notamment les services administratifs et financiers. Finalement, de nombreux métiers seront aussi impactés par une suppression de postes en magasin … » Depuis fin novembre 2024, la CFTC, première organisation syndicale chez Auchan, doit ainsi négocier la mise en œuvre de ce vaste plan social, dans l’optique de protéger au mieux les intérêts des salariés.

Un dialogue social détérioré

Détenue par l’association familiale Mulliez (ou AFM, une structure qui détient de nombreuses autres grandes marques comme Boulanger ou Kiabi), Auchan n’est cependant pas la seule entreprise de « la galaxie Mulliez » à connaitre des tensions sociales. Chez Decathlon – où l’AFM fait également figure d’actionnaire majoritaire – les salariés ont fait grève samedi 7 décembre, notamment à l’appel de la CFTC, 1ere organisation syndicale du groupe. Suite au très bon exercice 2023 de la firme au logo bleu ciel (935 millions d’euros de bénéfice), la direction venait alors d’annoncer le versement d’un milliard d’euros de dividendes aux actionnaires de l’AFM.

« Sauf que, dans le même temps, la direction n’a pas du tout répondu aux demandes de réévaluation des salaires présentées par les partenaires sociaux, pointe Grégory Labrousse, délégué syndical central CFTC chez Decathlon. Malheureusement, ce n’est pas un fait isolé: depuis quelques années, nous constatons clairement une dégradation du partage de la valeur, comme du dialogue social dans l’entreprise. » Son de cloche identique chez Auchan, les syndicats des deux groupes alertant quant à l’absence d’échanges entre les salariés et l’Association familiale Mulliez : « Nous avons le sentiment de faire face à une représentation patronale de plus en plus désincarnée, confirme Grégory Labrousse. Nos vis à vis font porter les responsabilités décisionnaires sur des interlocuteurs avec qui nous n’échangeons pas. »

Comment est structurée la « galaxie Mulliez » ?

Fondée en 1955, l’Association familiale Mulliez (AFM), est actionnaire majoritaire de 130 enseignes dont Auchan, mais aussi Decathlon, Leroy Merlin, Jules, Kiabi etc… Néanmoins, les entreprises détenues par l’AFM ne sont pas liées sur le plan juridique. « Certains syndicats ont bien essayé de faire reconnaître la structure du groupe par la justice, afin que les salariés licenciés dans une entreprise du groupe puissent être reclassés ailleurs, au sein de la Galaxie Mulliez, éclaire Bruno Delaye. Ça n’a pas marché. »

L’évolution et la trajectoire financière des diverses entreprises du groupe pourraient pourtant bien orienter certaines décisions de l’AFM : « Au printemps dernier, Auchan a racheté Casino, poursuit Delaye. A cet effet, les actionnaires ont fait une augmentation de capital : ils ont payé de leur poche, l’entreprise n’a rien décaissé. On peut théoriser que les actionnaires se refont aujourd’hui la cerise, grâce au milliard de dividendes que leur verse Decathlon. »

« C’est la récurrence et l’intensité des plans sociaux qui nous inquiètent »

A Decathlon, la direction s’est aussi départie de certain de ses engagements : « A titre d’exemple, contrairement à ce que stipulait notre accord d’entreprise, l’employeur a augmenté en janvier 2024 la part des cotisations que les salariés paient pour leur mutuelle. » illustre Grégory Labrousse. La baisse de la masse salariale – estimée à 1000 équivalents temps plein en 2024 – n’est pas davantage comprise: « Ça représente 3 postes par magasin, ce n’est pas rien. » Du côté d’Auchan, les dernières NAO se sont pour leur part soldées par un échec. « Mais, au-delà même de la question des rémunérations, c’est la récurrence et l’intensité des plans sociaux qui nous inquiètent », poursuit Bruno Delaye. En 2020, Auchan s’était en effet déjà séparé de près de 2000 salariésCette fois-ci, parmi les 2400 nouvelles suppressions d’emploi visées d’ici mi 2025, près de 800 concernent les conseillers de vente d’équipement, qui accompagnent l’acte d’achat. « C’est une décision brutale, car nous avions présenté un projet fin 2023, qui prévoyait de maintenir l’assistance à la vente dans certains de nos magasins. Mais là, ils suppriment purement et simplement tous les postes qui sont consacrés à cette activité… »

Sécuriser les mobilités internes et externes

Dès lors, comment protéger les acquis sociaux des salariés ? A Decathlon, où les NAO ont débuté début novembre, la ligne est claire : « La CFTC veut négocier des augmentations de salaires substantielles, explique Grégory Labrousse.  Si on n’obtient pas gain de cause, on n’exclut pas d’appeler à de nouvelles grèves. » Chez Auchan, la CFTC n’a plus d’autre choix que de négocier au mieux le plan social en court. « D’abord, il y aura des mesures de départ volontaires qui seront proposées en cours du PSE, décrypte Bruno Delaye. Ensuite, il y aura du reclassement en interne : nous négocierons pour proposer des solutions efficientes de formation aux travailleurs, afin qu’ils puissent se projeter dans un nouveau métier dans l’entreprise. »

Les salariés licenciés bénéficieront pour leur part d’un congé de reclassement externe. Cette mesure engage l’employeur à verser aux travailleurs 65 % de la rémunération brute moyenne qu’ils ont touché lors des 12 derniers mois qui ont précédé leur notification de licenciement. « A la CFTC, nous allons mettre un point d’honneur à ce que ce congé de reclassement soit qualitatif et mieux rémunéré: on veut que les salariés puisent toucher leurs indemnités jusqu’à 12 mois (le droit commun n’en prévoit qu’un minimum de 4), voire 18 mois pour des salariés séniors. » Un accord de GEPP (gestion des emplois et parcours professionnels), signé par la CFTC en juillet 2024, devrait par ailleurs faciliter le recours à la mobilité volontaire sécurisée. Ce dispositif permet à un salarié de travailler pour un nouvel employeur, sans pour autant rompre son contrat de travail chez Auchan, pendant sa période d’essai. « À l’issue de celle-ci, le salarié peut démissionner si son nouveau poste lui convient, ou alors revenir chez Auchan, en retrouvant son emploi ou un emploi équivalent. »

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Retrouver une vision stratégique

Si la CFTC jouera au mieux son rôle d’amortisseur social, elle pointe aussi le manque de vision de l’actionnaire, alors que les salariés d’Auchan paient ici les atermoiements et erreurs stratégiques de l’entreprise : « A la CFTC, nous avions déjà alerté quant à la mise en œuvre insuffisante du dernier accord portant sur la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC), poursuit Bruno Delaye. Ce dispositif prévoyait notamment le déploiement d’un observatoire des métiers. « Si cet observatoire avait fonctionné correctement, on aurait, par exemple, pu identifier que les métiers de la vente d’équipement étaient menacés par les évolutions du secteur. En les catégorisant comme « sensible », nous aurions pu accompagner en amont les conseillers en vente d’équipement dans leur reconversion professionnelle et actions de formation. »

Alors que la direction dit vouloir entamer une transformation profonde d’Auchan– notamment en repositionnant les hyper marchés en enseignes de proximité – Bruno Delaye veut néanmoins croire en une stabilisation de la situation du groupe, dans les années à venir : « Malgré ses difficultés actuelles, Auchan reste une grande entreprise, qui offre notamment une couverture mutuelle et prévoyance confortable à ses salariés. Désormais, il faut absolument qu’on retrouve des marges de manœuvre : c’est une condition sine qua none, si on veut pouvoir maintenir la qualité de ce contrat social. »